Népal, Mustang

Le voyage au Mustang, un pays caché, béy-yül en tibétain, est un trek de 15 jours de marche. Des écrivains voyageurs qui ont publié des ouvrages, je retiendrais le livre de Michel Peissel, "Mustang, Royaume Tibétain Interdit", compte rendu du voyage effectué en 1964.

Je l'ai fait en 1996, du 04 août au 27 août. Après un vol Pakistan International Airline via Karachi, l'arrivée à Katmandu était à l'heure prévue.

L'office du tourisme népalais a ouvert la région aux étrangers en 1993 assorti d'un numerus clausus, 200 autorisations par an, et d'un permis de trek conséquent, $910 payables en espèces.

Le récit est en cinq tableaux accompagnés de cinq thèmes concernant la région. Les commentaires culturels sont donnés par la présentation du Népal.

Mustang

Pokhara

l'arrivée à Jomson

Le début du trek

Le Mustang I :
Le Mustang est situé dans la partie septentrionale du Népal à la frontière chinoise et au nord-ouest de Katmandu. Cette enclave népalaise au Tibet s'étend le long de la rivière Kali Gandaki qui change de nom à la frontière du royaume de Lo pour s'appeler Mustang Khola. La Kali Gandaki coule dans le plus profond canyon du monde constitué par le Dhaulagiri à l'ouest, 8167 m et l'Annapurna à l'est, 8.091 m. Ces deux géants font une barrière à la mousson, le Mustang a le régime climatique du plateau tibétain. Les paysages des sentiers qui longent la Mustang Khola sont impressionnants par les structures produites par l'érosion géologique, piliers de pierre au bord des moraines, crêtes érodées, terrasses aplanies. Les couleurs des roches sont des camaïeux de nuances roses, jaunes, sienne clair et brûlé, grises en constant changement sous les jeux de lumière provoqués par l'évolution des masses nuageuses jouant avec le soleil. La composition minérale de la roche produisant ces nuances n'est pas sans rappeler, toutes choses égales par ailleurs,  le chef d'oeuvre géologique des falaises de Pétra en Jordanie.

 

L'approche: Le délai d'approche de Paris à la base de départ du trek, Jomsom, a été de quatre jours tenant compte d'une journée d'arrêt à Katmandu pour l'obtention et le paiement du permis de trekking et d'une journée de transit à Pokhara dans l'attente d'un avion pour aller à Jomson, 2.700m. Le groupe de 16 personnes avec les bagages a été réparti en deux vacations du Twin Otter pour atterrir sur la piste asphaltée de Jomson en bordure de la Kali Gandaki. L'avion contourna l'Annapurna par le sud et remonta la vallée, le spectacle du canyon vu des hublots de la cabine était  magnifique et l'atterrissage impressionnant.


La randonnée commença à partir de Jomson par une marche de mise en jambe jusqu'à Kagbeni de 3 heures. L'arrivée de bonne heure à l'étape, avant les mules portant les bagages, a permis au groupe d'aller visiter le village de Tiri Gaon.
Alors que nous étions invités à prendre le thé par une jolie hôtesse, l'officier de liaison, qui nous était affecté, nous a rattrapé pour nous ramener rapidement à Kagbeni. Le village de Tiri Gaon ne figurait pas sur la liste du "Trekking Permit".

Geling, Tsarang

Le Mustang II :
Le Mustang, "Royaume au milieu des nuages", a été pendant des siècles l'un des lieux les plus secrets de l'Himalaya. Il a connu son heure de gloire au Moyen Âge avec le commerce du sel du Tibet exporté en Inde. Il a subi des dommages plus importants que le Dolpo suite à l'invasion du Tibet par la Chine. De 1950 à 1960, le Mustang a été le lieu de refuge des terribles guerriers Khampa qui ont fui la région de l'Amdo du Tibet orientale rattachée au Sichuan. Ils se servaient du Mustang comme base arrière pour attaquer les chinois. Le Népal, n'ayant pas la puissance de l'Inde, a fermé la frontière dès 1960 pour ne l'entrouvrir qu'en 1991. Le commerce du sel a été totalement arrêté.
Comme le Bhutan, à l'est, et le Ladakh, à l'ouest, le Mustang est une parcelle du Tibet hors le Tibet envahi par la Chine. Ces trois royaumes représentent la culture tibétaine épargnée par les destructions de la Révolution Culturelle Chinoise et par la plus pernicieuse des colonisations de la fin du 20e siècle.
La capital du Mustang est Lo Manthang dont la corruption a donné au 18e siècle, Mustang.

Geling: Au delà de Kagbeni, la piste  quitte le chemin des pèlerins du sanctuaire Hindou de Muktinath qui sera pris au retour. La piste chemine le long de la rivière pour la traversée par le pont de Tsele malheureusement emporté lors de la dernière crue. Le groupe utilisa une noria de mules pour la franchir. Après un crochet vers Samar, village étape, le chemin passe par des canyons et des reliefs aux couleurs spectaculaires. Après un dernier col à 3.900 m, le plateau de Geling a été atteint. Geling, considéré par M Peissel comme étant la porte du Mustang historique, est un très beau village étalé dans le vallon d'un torrent.

Tsarang:  Le trek n'a pas pris le chemin le plus direct pour Tsarang. A partir de Tramar, village étape, un détour a été fait pour visiter le monastère de Lo Gekar du 11e siècle. La piste descend vers Tsarang, deuxième ville du royaume du Mustang. Le monastère de Tsarang est intéressant à visiter pour ses peintures et ses statues. Construit sur une petite colline précédé de chortens, il domine le gros village.

Le "Far North"

Kagbeni

Paysage


A la sortie de Tsarang plusieurs moulins à grains sont animés par la force motrice du torrent tributaire de la Mustang Khola. L'étape vers Lo Manthang a été courte, elle a offert un magnifique panorama sur les massifs du Nilgiri, du Tilicho et de l'Annapurna.

Lo Manthang

Le col de Lo

 

Lo Manthang

 

Le Roi

La vie monastique I :
La vie monastique a été abordée succinctement dans les commentaires des précédents voyages dans ces régions de l'Himalaya. La polyandrie est la structure sociale de base de la société tibétaine. Seul le frère aîné se marie et hérite des terres. Les frères puînés restent à la ferme et épousent la femme de leur frère, ou s'expatrient souvent en Inde, ou se font moine. Les mêmes causes qu'au Moyen Âge occidental produisent les mêmes effets. C'est un problème économique et non de vocation. A l'inverse du système chrétien, le moine ne prononce pas de voeux, il peut quitter le monastère quand il le souhaite, sans jeter le froc aux orties. Il s'agit d'un planning familial, d'une régulation des naissances avant son invention par la société évoluée de l'Occident. Ainsi les familles possèdent depuis plusieurs générations une petite maison au pied du monastère, agrippée à la montagne, où loge la parentèle attachée au monastère. La famille pourvoit à l'entretien de ses biens et de ses parents quand elle est suffisamment riche. Ces faits expliquent l'architecture du monastère composée des bâtiments du culte et de pavillons résidentiels qui l'entourent. Les moines ne partagent pas de repas ensemble sauf les nécessiteux qui sont obligés de travailler pour le monastère. Les moines lors des cérémonies de prières consomment abondamment des bols de thé salé au beurre de yak mélangé avec de la farine d'orge grillé, surtout en hiver pour se réchauffer et s'hydrater. J'ai enduré le froid sépulcral de Karsha en février 2002.

Lo Manthang, L'arrivée à Lo Manthang a été somptueuse. A partir du col de Lo, 3.850 m, la vision de la capitale du Mustang implantée dans une plaine aux parcelles cultivées, entourée de montagnes aux pentes arides, défendue par de solides remparts, aux couleurs ocre, jaune, aux drapeaux flottants au vent, est une apparition du Moyen Âge. Le palais et les monastères dominent toutes les autres constructions, l'un est blanc et les autres ocre.
Deux journées ont été passées pour visiter la ville avec ses trois monastères, très anciens, ses ruelles animées de villageois et de pèlerins. Le deuxième jour a été exceptionnel, par la participation à une pusha bouddhiste, prière collective, et une procession, conduite par le Rimpoché, avec circumambulation à l'extérieur des murailles de la ville.
En fin d'après midi, le groupe a été reçu par le Roi en son palais entouré de sa cour, son unique secrétaire. Il était rentré vers 13 heures de Katmandu, en hélicoptère de l'ex-URSS, à la suite d'une audience accordée par le Roi du Népal.


La première partie du trek a pris fin à Lo Manthang. La plus grande partie s'est passée sur la rive droite de la Mustang Kola. Les villages traversés étaient tous implantés au pied des montagnes et le long de torrents. Des champs, parcelles closes de petits murs entourées de canaux, montraient le travail ancestral de construction et d'entretien d'un système complexe d'irrigation et de culture d'une terre alluvionnaire pour assurer la survie de la famille.
A partir de là, le retour vers le sud a été fait par la rive gauche de la rivière sacrée. Peu de villages ont été visités dénotant, l'aspect géologique en témoigne, que cette région est moins fertile que l'autre rive. De nombreuse torrents impétueux ont été traversés à dos de mule. Quatre jours ont été nécessaires pour atteindre Muktinath.

Muktinath

La vie monastique II :
La vie monastique au Tibet s'apparente à celle des monastères en Occident à l'époque du Moyen Âge. En effet il faut rapprocher le monastère plus d'une école, d'une université et le moine d'un étudiant. Rappelons que c'était le cas encore au 19e siècle à l'université d'Oxford dont les enseignants étaient des membres du clergé. Lorsque les parents amènent un enfant au monastère, celui-ci subit un examen médical, psychologique et autres pour apprécier sa santé, son aptitude aux études religieuses, à la vie en communauté. Ensuite il est confié au parent qui serait déjà au monastère, dans ce cas l'enfant habite dans la maison familiale et sert le parent qui peut être aussi son Maître. J'ai vécu ce schéma au monastère de Karsha pendant l'hiver 2002 lors du Chadar.
La première étape de l'éducation est l'apprentissage de la lecture et de la mémorisation des prières et des textes. La lecture, la compréhension sont les premiers pas du moinillon. Le parcours de la formation du moine est long, il sera stagiaire, trawa, novice, getsul, moine, gelong, pour franchir chaque étape il y a des examens. Dans maints monastères j'ai assisté à des joutes oratoires au cours desquelles les étudiants s'affrontent dans des disputes philosophiques associées à une gestuelles codifiées. Certains moines obtiennent des "titres universitaires", licencié, gyegen, doctorat ès divinités, ranjam, traducteur, lotsawa.
Les moines qui ne sont pas astreints à travailler pour subvenir à leurs besoins peuvent voyager dans le monde, il n'y a pas d'interdiction, seul quelques obligations monastiques.

Tange: La route était longue et difficile, deux cols à +4.000 m ont été passés pour aller à Muktinath. Tange est un magnifique village fortifié à l'architecture remarquable précédé par un alignement de chortens. Il est en train de mourir lentement.

Muktinath, 3.810 m, est important village de pèlerinage. Hindous et Bouddhistes le considèrent comme un lieu saint. Le petit temple hindou est en forme de pagode, tout proche les 108 sources jaillissent de becs de bronze décorés d'animaux. Une Gompa Nyingmapa est installée près de la source de gaz naturel qui donne en brûlant une lumière bleue. Le site serait connu et sacré depuis l'antiquité. Les Hindous vénèrent une pierre noire, ammonite fossile, comme l'incarnation de Vishnu, sholigram, vendue à  Dzong.

La transhumance

 

 

Tange

Muktinath


Le trajet en descente vers Jomson dura 5 heures. Le joli village de Dzarkhot  est visité, posté en citadelle au dessus de la vallée et dominé par  un château en ruine. La descente se poursuivit jusqu'à Eklaibhatti à la jonction du torrent avec la Kali Gandaki. De là il a fallu 2 heures pour rejoindre Jomson en luttant contre un fort vent remontant la vallée, le canyon, chargé d'une lourde poussière. La dernière heure du trek s'est terminée dans un crachin digne de la Bretagne.

Jomoson

Le départ de Jomson

Patan, vallée de Katmandu

Atelier de filature, Bhaktapur

La civilisation tibétaine:
Au pénultième siècle, il était de bon ton, dans les milieux savants de l'Occident de considérer le Tibet peuplé de gens crasseux sous la domination d'un clergé despotique et ignare. La mise en coupe réglée du sous-continent indien par les britanniques d'obédience Victorienne n'arrangea pas les choses. La réalité est toute autre, des études récentes ont apporté des démentis et des nuances à des propos parfois malveillants.
La langue tibétaine ne procède pas d'un amalgame de sanskrit, de chinois et autre langue turque. Elle est originale, elle appartient au groupe Tibéto-birman.
Malgré les dévastations faites par des iconoclastes chinois, de nombreux édifices, objets d'art, documents subsistent de la civilisation originelle du Tibet, un royaume comme le Bhutan en témoigne. Au 5e siècle de notre ère, l'Inde, l'Asie centrale, l'Afghanistan pratiquaient le Bouddhisme Mahayana dont les arts furent influencés par les Grecs de Bactriane et du Gandhara. A cette époque la région était peuplée de Kiang, de tribus aux traits mogols, de Huns, d'Aryens. Des tombeaux, sépultures géantes gardées par des "armées de la mort", ont révélé des objets d'art. En 640 AD, un jeune roi Songsten Gampo prit le pouvoir à Lhasa et réclama à la Chine et au Népal une princesse. Il les prit pour épouses. Elles le convertirent au Bouddhiste. Songsten Gampo et ses descendants  établirent un véritable empire qui alla jusqu'au golfe du Bengale et à la capital chinoise.
La civilisation de cet empire subsiste encore dans les royaumes tibétains. Grâce à l'organisation sociale basée sur la primogéniture et la polyandrie, la vitalité de la société tibétaine est assurée par le pouvoir des jeunes hommes et non des gérontes.

Jomoson, 2.760 m. est une petite localité poussiéreuse, chef lieu du district. Tout le village est organisé autour du trekking, banque, bureaux gouvernementaux, boutiques, lodges et hôtels. Après la visite du Mustang, Jomoson n'a pas le charme des villages rencontrés. Par contre, les panoramas sont splendides, la gorge de la Kali Gandaki et le Nilgiri.


Le voyage au Mustang a été décidé au retour du voyage au Dolpo. A l'arrivée au dernier col avant Jomoson, en admirant la saignée faite par la Kali Gandaki, je constatais que je ne pouvais pas ne pas venir visiter cet autre pays caché, le royaume interdit du Mustang. Comme je l'ai déjà mentionné, les similitudes historiques, anciennes et récentes, entre le Dolpo et le Mustang sont grandes. Les différences résident dans le fait que le Mustang est géographiquement une enclave en territoire tibétain, donc selon les prétentions de Pékin, en territoire chinois et que le gouvernement royal du Népal laisse une grande indépendance à ce territoire sous l'autorité temporelle et spirituelle de son Roi. Il faut remarquer que le Roi du Népal est originaire du Rajasthan et Hindouiste, le Roi du Mustang est originaire du Tibet et Bouddhiste.
Le sous-continent indien me laissera longtemps perplexe. Là, comme ailleurs dans le monde, l'Histoire a des détours où seule une analyse, circonstancielle et événementielle, pointue peut apporter quelques éclaircissements.


Le retour en France a été effectué, en vol PIA via Karachi, avec un départ en fin d'après midi et une arrivée à Paris le lendemain en fin de matinée.

Neuilly, le 2003/07/24